Gouvernance de la GRU en débat

La gouvernance de la GRU en débat

La GRU ou Gestion de la Relation Usagers, pendant du CRM (Gestion de la Relation Clients) pour le secteur public, devient un enjeu majeur pour les acteurs publics, notamment les collectivités territoriales et les administrations soucieuses de mieux servir les usagers de leur territoire, de tracer leurs demandes et les réponses apportées, d’améliorer leur qualité de services.
Dans le cadre de la mise en oeuvre des projets de GRU que j’ai accompagnés pour de nombreux grands acteurs publics, se pose imanquablement la question de la gouvernance de la GRU : sa mise en oeuvre touche toutes les directions et services d’une administration : elle doit être orchestrée, synchronisée, et les règles de la relation avec les usagers doivent être acceptées par les directions métiers, qui sont sensées les adopter et ne pas les pervertir ni les édulcorer.
Dans sa dimension de solution informatique (à l’instar du CRM) une pratique en GRU est de confier sa mise en oeuvre aux directions informatiques et organisations, ou à des directions spécialisées dans la transformation numérique, mais l’expérience montre qu’elles pêchent souvent par manque de leadership et de légitimité vis à vis des autres directions métiers en matière de process.
Parfois cette gouvernance est « appropriée » par les cabinets ou les directions de la communication, qui sont de fait au contact des usagers et doivent leur rendre compte des actions rélaisées.
Dans d’autres cas enfin, des « directions GRU » ou de « l’accueil usagers » voient le jour et sont rattachées directement à la Direction Générale.
Quels sont les enjeux et les bonnes pratiques en la matière ?


Les trois défis que la gouvernance doit relever

  1. Synchroniser et faire converger les canaux entrants

    • Portail et appli mobile (front-office numérique)

    • Standard téléphonique (CTI, scripts, fiches de connaissances)

    • Accueil physique (file d’attente, rendez-vous, services “France Services”)

    • Concertation citoyenne (budgets participatifs, enquêtes publiques, ateliers)
      Chaque canal possède souvent son budget, sa culture métier et ses propres indicateurs ; sans règles communes, la promesse d’expérience unifiée s’effondre. On notera que ces canaux ne sont pas tous du ressort d’une DSI, l’accueil physique usager par exemple ou les concertations citoyennes échaqppent à leurs prérogatives habituelles et à leurs domaines de compétences.

  2. Unifier la donnée usager et la communication : un impératif plaidant pour une direction centralisée
    Le guichet unique basé sur un identifiant partagé, connectable à FranceConnect, est nécessaire pour éviter la saisie répétitive de données et permettre le suivi 24 h/24 en ligne ou au guichet. Cette notion de référentiel usagers, ou de « portail chapeau » vue de l’usager, est essentiel au suivi efficient de ses demandes et de leur instruction au sein de l’institution.
    Je ne peux ici m’empêcher de noter qu’une mauvaise interprétation du RGPD amène certains prestataires ou cabinets de consulting à proscrire cette notion de référentiel usager unifié, ce qui constitue de mon point de vue une erreur manifeste en matière de GRU, puisque la finalité est bien de mieux servir les usagers, et donc de pouvoir tracer leurs demandes et les réponses apportées. Et accessoirement, informer les usagers sur l’avancement de leurs demandes est une obligation légale (un service de l’accueil usagers en guichet unique ne peut pas dire « je n’ai pas le droit de vous dire où en est votre demande, contactez tel service »).

  3. Orchestrer les métiers, les process et construire une charte de communication
    La qualité de service c’est avant tout la reproduction à l’identique d’informations pour tous, en fonction de l’avancement de process.
    Lors des ateliers de travail que je mène avec les directions métiers nous définissons les process métiers par dispositifs usagers (par types de démarches notamment) et nous identifions les points de communication avec les usagers : notifications SMS et mails, courriers, relances… à produire au fil de l’avancement des process.
    Une bonne pratique consiste à unifier non pas les process (qui doivent bien coller au dispositif) mais les modèles d’échanges avec les usagers. De construire en quelque sorte une « charte de communication » utilisable par toutes les directions et services de l’institution, et garantissant une forme d’homogénéité dans la communication avec les usagers. Quand chaque service produit ses propres modèles, on se retrouve avec des rédactions très différentes pour le même organisme, qui peuvent questionner les usagers.


Quelques modèles d’organisation observés :

Modèle Forces Risques Pour quel profil de collectivité ?
DSI pilote Urbanisation, cybersécurité, industrialisation, multi-métiers Légitimité pour les canaux qui ne sont pas informatiques. Autorité vis à vis des directions métiers. Communes < 30 000 hab. disposant déjà d’une DSI forte
Direction de la transformation / innovation Agilité, design user-centred Éloignement du terrain après la phase projet
Légitimité pour les canaux qui ne sont pas informatiques
Villes moyennes en recherche de rupture managériale
Direction de la relation usagers (rattachée DG) Pouvoir d’arbitrage, vision 360°, légitimité managériale Nécessite des profils hybrides SI / qualité / organisation Métropoles > 200 000 hab., forte pression politique
Direction accueil / France Services Proximité front-office Faible levier sur les back-offices Communes rurales, intercommunalités multi-sites

👉 Choisir un modèle, c’est d’abord clarifier où se trouve l’autorité capable d’imposer un référentiel commun ; à défaut, chaque direction construira sa GRU “maison”.


Les cinq piliers d’une gouvernance GRU réussie

 

Pilier Questions clés Livrables à formaliser
Vision DG et sponsors élus (Maire, Président…) Quelle cible (ex. 80 % de demandes suivies en ligne ; 9 appels/10 répondus) ? Feuille de route pluriannuelle, budget
Règles de service Quels délais, quels canaux obligatoires, quelles modèles de communication ? Charte de service & SLA communs
Référentiel usager Visions globale par quelles agents et quels droits associés ? Politique RGPD ? Schéma de données, convention de qualité, gestion des droits des agents par profils
Comitiologie Qui arbitre les priorités ? Fréquence ? Quelles instances RACI + reporting , planning
Amélioration continue Comment écouter à chaud ? Quelle publication d’indicateurs ? Tableau de bord “Services Publics +” et plan d’action trimestriel

Gouvernance et omnicanal : bonnes pratiques terrain

Canal Risque sans gouvernance Bonne pratique
Portail / appli mobile Multiplication des formulaires et des comptes usagers Catalogue unique des démarches, vision usager unifiée, back-office partagé
Téléphone Files d’attente, redirections en boucle CTI relié au référentiel usagers ; indicateur « taux d’appels aboutis » conforme au seuil 9/10 du CITP Modernisation.gouv.fr
Guichet physique Temps d’attente non mesuré, doublons saisie Prise de rendez-vous omnicanal, file numérique, e-signature
Concertation publique Consultation “poudre aux yeux” déconnectée des services Procès-verbal vers la GRU et accusé de réception des contributions
Courrier papier Saisie manuelle tardive, dossier “hors radar” Numérisation dès l’ouverture + routage automatique dans le workflow

Indicateurs clés (alignés sur Services Publics +) pouvant être retenus :

Catégorie KPI cible 2026 Pourquoi
Accessibilité 100 % des formulaires notés ≥ 8/10 par l’observatoire SP+ Conformité handicap & UX
Délai 95 % des dossiers simples traités < 72 h Promesse “réponse rapide”
Téléphone 90 % d’appels humains décrochés en < 2 min Engagement CITP
Satisfaction NPS global > +30 Pilotage qualité
Inclusion 100 % des services critiques disponibles via France Services Lutte contre la fracture numérique

Conclusion

La GRU n’est pas un portail ni un call-center ; c’est l’orchestration de tous les points de contact autour d’un référentiel commun de qualité, de données et de responsabilités. Sans gouvernance portée au plus haut niveau, la meilleure plateforme technique sera pervertie par des silos métiers ou par un canal qui en cannibalise un autre.
À l’inverse, une gouvernance claire, dotée d’objectifs partagés et d’indicateurs publiés, transforme la relation usager en levier de confiance démocratique et de performance opérationnelle pour les agents comme pour les élus, au service des usagers d’un territoire.